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La légitimation des Wassangaris au trône de Nikki : Enjeux historiques, linguistiques et politiques d'une souveraineté plurielle.

L'histoire du royaume de Nikki, haut lieu symbolique de l'autorité traditionnelle dans le nord du Bénin, suscite depuis des décennies un débat crucial sur l'origine de ses souverains et la légitimité de leur pouvoir. À travers une analyse croisée de sources historiques, missionnaires, orales et académiques, cet article examine les arguments avancés par différents chercheurs et témoins pour tenter de comprendre les dynamiques d'installation, de domination et de reconnaissance du groupe appelé Wassangari, souvent identifiés comme des Boo, dans la fondation et la gestion du pouvoir royal à Nikki. L'article met particulièrement l'accent sur les enjeux linguistiques comme indicateur de la légitimité souveraine, ainsi que sur les processus d'assimilation et de cohabitation ayant marqué l'histoire de cette monarchie régionale.

Introduction 

Le débat historiographique autour des origines des rois de Nikki s'inscrit dans une dynamique plus large de relecture des traditions orales et de confrontation entre mémoire collective et savoirs académiques. À la faveur de la parution en juillet 1989 d'un article de Léon BANI BIO BIGOU dans le quotidien EHUZU, intitulé "À propos de l'émission radio diffusée du Pr Félix IROKO sur les rapports Bariba et Boko", une polémique s'engagea sur la place et le rôle des Boko dans la fondation du royaume de Nikki. Le professeur Félix IROKO, historien reconnu, répondait dans une tribune parue le 26 juillet 1989, sous le titre évocateur : "Les seigneurs Boko, grands maîtres incontestés du Borgou avant l'arrivée des Blancs". Cette réplique marque le point de départ de la nécessité d’une relecture critique de l'histoire du Borgou, et plus particulièrement de la souveraineté du royaume de Nikki sur d’autres chefferies locales.

I. La thèse du Pr Félix IROKO : les Boko, seigneurs de Nikki Dans sa réponse publiée dans EHUZU,

 Le Pr IROKO soutient que les Boko furent les véritables fondateurs du pouvoir royal à Nikki. Il fonde son argumentation sur les récits des frères Lander, explorateurs britanniques ayant visité Busa entre 1830 et 1832. Ceux-ci décrivent Busa comme une entité politique dominante dans la région, jouissant d'une autorité incontestée sur ses voisins. Pour IROKO, Busa constitue le berceau secondaire des Boko, qui migrèrent vers Nikki pour y établir leur pouvoir. Le foyer primaire étant probablement Siguiri en haute Guinée. Il cite également le Révérend père Jacques Bertho, missionnaire et chroniqueur, qui note dans la revue "Les Notes Africaines" n°28 (octobre 1945, page 7) que les rois de Parakou seraient d'origine yoruba, tandis que ceux de Nikki relèveraient d'une appartenance boussan-ké, un sous-groupe mandingue. Selon lui, les princes de Nikki communiquaient entre eux dans la langue mandingue, renforçant ainsi la thèse d'une souveraineté d'origine boko-mandé de la royauté de Nikki.

II. Le rôle central de la langue Boo dans la légitimation royale 

La langue constitue un marqueur essentiel du pouvoir et de l'identité des groupes dominants. Le Pr IROKO affirme que le Boo (ou Busa) était la langue officielle du palais royal de Nikki. Cette assertion est corroborée par le père René Faurite, dans sa thèse de doctorat soutenue en 1987 sur "Le royaume de Busa". Il y affirme que la langue boko fut imposée aux conquérants devenus souverains, à travers les logiques démographique et politique.

Cependant, Faurite nuance cette affirmation en s'appuyant sur Jacques Bertho, qui estime que les gens de Kissira (groupe arrivé de l'Est) ont adopté la langue mandingue à leur arrivée au Borgou alors que les mandingues sont venus de l’Ouest. Cela témoigne d'une hybridation linguistique, signe d'une cohabitation et d'une fusion culturelle progressive.

III. Témoignages contemporains et mémoire collective  locale 

Plus récemment, lors de la première Gaani du souverain Sero Toru Tuku Sari en 2023, un ministre de la cour royale du nom de SINADOUWIROU (ou Kiguina) a accordé une interview à une équipe dirigée par le journaliste Abdoulaye Moumouni Yacoubou (Ex-ORTB). Il y affirme que son arrière-grand-père, qui accueillit les Wassangaris à Nikki, parlait à la fois le Baatonu et le Boo. Le fait de s'exprimer en Boo aurait suffi à satisfaire les nouveaux venus, soulignant la charge symbolique de cette langue dans le processus de domination et de légitimation.

Le Dr Oumarou BANI GUENE, historien et archéologue, apporte un éclairage supplémentaire en précisant que les groupes de Kissira ne sont pas arrivés à Nikki simultanément mais plutôt par vague successive à des périodes historiques différentes parfois les unes des autres. Il soutient que le Boo fut pendant longtemps la langue exclusive du palais, réservée aux princes, et que la domination actuelle du Baatonu parmi les descendants royaux est le fruit de mariages mixtes avec des femmes baatombou, mais aussi d'une adaptation sociohistorique aux dynamiques locales. Le même auteur soutient qu’il serait difficile d’attribuer aux wassangaris une origine linguistique différente de cette du Boo. Car si les wassangaris parlaient une langue qu’ils auraient perdu, il ne parait pas aisé d’identifier cette langue. Des auteurs ont estimé que les gens de Kissira parlaient plutôt le Tchenga et non le Boo.Or le Boo et Tchenga appartiennent au même groupe linguistique Mandé avec une intercompréhension de 80 à 95 pour 100.

IV. De l’oral à l’écrit : confrontations des sources et enjeux identitaires 

L’historicité du royaume de Nikki repose donc sur une pluralité de sources et de récits parfois contradictoires. Si les traditions orales attribuent l’origine de la royauté aux groupes venus de Busa (Boko), d’autres voix disent que le trône de Nikki n’est ni Boo ni Baatonu mais Wassangaris.

Léon BANI BIO BIGOU, dans son livre paru en 1992 intitulé "Les origines lointaines des rois de Nikki", corrobore la thèse du Pr IROKO. En effet, il affirmait que le roi Sounon Séro parlait le Boo à son arrivée à Nikki-Ouenou, consolidant ainsi l’idée d’une royauté Boko par essence.

Selon Ismaël Ali Sabi, docteur en mathématiques et passionné de l’histoire du trône de Nikki, le premier souverain, Sounon Sero, fut succédé par son fils cadet Zimé, plus connu sous le nom de Zimé Dodia : terminologie d’origine Boo. Ce dernier aurait contracté des unions matrimoniales avec cinq femmes issues de différentes origines : trois Boo, une Haoussa et une Baatonu. C’est à partir de son règne, selon le même auteur, que s’instaure la pratique consistant à rattacher l’identité dynastique du roi au clan maternel. De cette tradition naissent plusieurs dynasties, notamment celles des Sannin Kaawia (Karawe), Mao Kwaalou(Mako-Korarou), Mao Gbassi(Mako-Gbassi), Cessi Makararou et Sannou  Yari Lafiarou. Il avance également que les rois de Nikki sont considérés comme des frères cadets aux rois de Busa. Ces derniers étant issu du clan Bantin par conséquent, les souverains de Nikki appartiendraient au clan Bantin, identifié comme un clan Boo. Ce qui, selon lui, confirme l’origine Boo des souverains de Nikki.

Conclusion 

A cette étape de notre analyse on retient que la souveraineté à Nikki n'est ni figée ni univoque. Elle est le produit d’un long processus d’interactions entre groupes migrants, populations autochtones et dynamique de pouvoir. L’usage du Boo comme langue parlée au sein de la royauté de Nikki, les récits et les modes de conquête venus de Busa, et les alliances matrimoniales avec les Baatombou témoignent d’un royaume fondé sur la négociation, la fusion et la continuité .D’où l’ambivalence qui caractérisait les razzias, mode de conquête des wassangaris.

Ce débat historiographique éclaire non seulement le passé du Borgou, mais interpelle aussi sur les enjeux contemporains de légitimation, d’identité et de pouvoir dans la perspective de construction de l’histoire nationale. À l’heure où les pouvoirs traditionnels cherchent à retrouver leur place dans la gouvernance locale, une lecture apaisée et rigoureuse de l’historiographie nationale devient indispensable.

Références

IROKO A. Félix, "Les seigneurs Boko, grands maîtres incontestés du Borgou avant l'arrivée des Blancs", EHUZU, 26 juillet 1989

BANI BIO BIGOU Léon, "À propos de l'émission radio diffusée du Pr Félix IROKO sur les rapports Bariba et Boko", EHUZU, 11 juillet 1989

BANI BIO BIGOU Léon, Les origines lointaines des rois, 1992

Bertho Jean, "Les Notes Africaines", N°28, octobre 1945

Faurite René, Le royaume de Busa, de ses origines médiévales à 1935, Thèse de doctorat, 1987

Interview de SINADOUWIROU, ORTB, 2023

BANI GUENE Oumarou, entretiens et conférences, 2025

Dr Ismaël Ali Sabi, entretien, 2025

OROU ZAKARI Sabi

Journaliste et passionné de l'histoire des chefferies traditionnelles

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