Titre :Wêwêré, un haut lieu de spiritualité, de mémoire et de résistance dans le Borgou : entre sacralité, écologie et histoire de la lutte anticoloniale.
Résumé :
Le site de Wêwêré, situé à l’ouest de Bembèrèkè dans le nord-est du Bénin, s’impose à la fois comme un espace sacré, un écosystème symbolique et un repère mémoriel. D’une superficie de plus de dix hectares, ce site abrite des espèces animales totémiques et des arbres iroko investis de fonctions rituelles. Selon Souleymane SINADOUWIROU, conservateur et sacrificateur traditionnel du site, Wêwêré fut un point de ressourcement spirituel pour le héros national Bio Guerra dans sa lutte contre l’occupation coloniale. L’étude de ce site révèle une articulation forte entre cosmologie locale, mémoire historique et écologie sacrée, rendant nécessaire une relecture anthropologique et historique de la place des territoires sacrés dans les résistances africaines.
Introduction :
Les sites cultuels traditionnels africains ne sont pas de simples vestiges du passé : ils condensent des dimensions spirituelles, écologiques, historiques et sociales. Le site de Wêwêré à Bembèrèkè en est une illustration remarquable. Classé comme site touristique et sacré, Wêwêré constitue un espace où se mêlent croyances endogènes, préservation environnementale et mémoire de la lutte anticoloniale. À travers l’entretien avec Souleymane SINADOUWIROU, son conservateur, cet article explore les dimensions symboliques de Wêwêré, en insistant sur sa fonction de sanctuaire rituel, d’habitat d’espèces totémiques et de lieu de mémoire de la résistance portée par Bio Guerra.
I. Un espace sacré structuré autour des forces de la nature.
Situé dans l’arrondissement central de Bembèrèkè, le site de Wêwêré s’étend sur plus de 10 hectares et se distingue par la présence de huit iroko, arbres à haute valeur spirituelle, deux mares d’eau et plusieurs espèces animales sacrées. Parmi les arbres, trois iroko sont considérés comme sacrés : l’un consacré à l’excision, un autre à la circoncision, et le troisième à la médiation spirituelle. Ce dernier est notamment sollicité pour la résolution de problèmes liés à la fertilité, d’où la tradition de donner le nom « Wêwêré » aux enfants conçus après une consultation rituelle. C’est sous cet iroko sacré que Bio Guerra, héros de la lutte contre la colonisation française, venait se ressourcer. Selon la tradition orale, cet arbre abrite jusqu’à aujourd’hui une colonie d’abeilles, considérées comme les gardiennes spirituelles du lieu. Leur présence continue est interprétée comme un signe de la force du site et de la protection ancestrale qui y réside. L’arbre est ainsi à la fois sanctuaire et témoin vivant des résistances passées
Les deux mares, dont l’une a été connectée à un système de traitement d’eau potable, abritent des caïmans, des varans et un boa. Ces animaux sont considérés comme des « informateurs spirituels » : leurs comportements sont interprétés comme des signes prémonitoires permettant au conservateur d'agir par des sacrifices pour conjurer les menaces spirituelles.
II. Un espace d’historicité : la mémoire de Bio Guerra et la résistance locale.
Au-delà de sa sacralité, Wêwêré est investi d’une fonction mémorielle majeure. Le conservateur affirme que Bio Guerra, héros national de la résistance contre la colonisation française, venait y puiser de la force spirituelle avant ses combats. Il identifie ce site comme son premier champ de bataille dans la région de Bembèrèkè. Le second serait situé à Baoura, où se trouve aujourd’hui son mausolée. Souleymane SINADOUWIROU déclare que Bio Guerra est né d’un père Boo originaire de Kalalé et d’une mère de Gbèkou dans l’arrondissement de Bouanri, commune de Bemberekè. Il incarne la résistance militaire mais aussi spirituelle à l’occupation coloniale. Sa fréquentation du site de Wêwêré inscrit sa lutte dans un enracinement cosmologique propre aux traditions Boo ou Boko
Cette connexion entre espace cultuel et lutte armée permet de reconfigurer la compréhension des résistances africaines en y intégrant leurs dimensions spirituelles. Wêwêré n’est donc pas qu’un simple décor dans la trajectoire de Bio Guerra : il en est une ressource stratégique et mystique, un espace de régénération et de légitimation guerrière.
III. Origines du site et continuités socioculturelles.
L’historique rapporté par Souleymane SINADOUWIROU situe la fondation de Bembèrèkè dans les années 1880, par des chasseurs venus de Kidaroukperou ou Kilo’Ngbè dans l’arrondissement central de la commune de Kalalé. Le toponyme même de Bembèrèkè, d’origine Boo ou Boko
, signifie « à la lisière d’une montagne ». Ce fait linguistique souligne l’ancienneté de l’implantation Boo dans la région et la centralité de Wêwêré dans les traditions locales.
Les fonctions rituelles de Wêwêré ne se sont pas estompées malgré les mutations sociales contemporaines. Le site continue de jouer un rôle dans la résolution des conflits, la guérison, la fertilité et la mémoire collective. Le fait que des enfants portent encore le nom « Wêwêré » témoigne de la vivacité de cette tradition dans le tissu social actuel.
Conclusion :
Le site de Wêwêré offre une lecture plurielle du territoire : il est à la fois un sanctuaire, une réserve écologique et un monument vivant de la résistance. L’entretien avec Souleymane SINADOUWIROU éclaire la complexité de ce lieu, au carrefour de l’histoire, de la spiritualité et de l’environnement. En tant qu’espace de reliance entre les vivants, les ancêtres et la nature, Wêwêré mérite une protection juridique et patrimoniale renforcée, ainsi qu’une reconnaissance scientifique à la mesure de son importance culturelle et historique.
Références orales :
Entretien avec Souleymane SINADOUWIROU, conservateur et sacrificateur du site de Wêwêré, réalisé le 06 juin 2025 à '.