Titre : Rituels de purification post-deuil chez les Boo (Busa) : Analyse symbolique du « Wà suɛlɛ kɛ gĩa»
Résumé :
Chez les Boo, également appelés Busa, la perte d’un enfant entraîne non seulement une douleur émotionnelle profonde, mais aussi une série de prescriptions rituelles à observer par les parents endeuillés. Cet article se propose d’analyser le rituel du Wà suɛlɛ kɛ gĩa, prescrit au couple ayant perdu un enfant, avant toute reprise des relations intimes. À travers une approche anthropologique et symbolique, nous montrons que ce rite vise à conjurer la malédiction supposée liée à la mort prématurée de l’enfant, à rétablir l'équilibre cosmique et social, et à prévenir la récurrence d’un tel drame.
Introduction :
Le deuil d’un enfant est une expérience universelle, mais ses implications culturelles varient considérablement selon les sociétés. Chez les Boo du Bénin et du Nigeria, la perte d’un enfant s’accompagne de normes rituelles strictes, dont le non-respect est perçu comme susceptible d’attirer d’autres malheurs. Le Wà suɛlɛ kɛ gĩa est un rituel de réintégration symbolique et de purification sexuelle destiné aux couples frappés par cette perte.
Méthodologie :
L’étude s’appuie sur des enquêtes de terrain menées dans les localités Boo du nord-est du Bénin, complétées par des entretiens semi-directifs avec des sages, des aînés et des couples concernés. Elle mobilise les outils de l’anthropologie symbolique pour interpréter les gestes, les postures et les objets rituels utilisés.
Présentation du rituel :
Le Wà suɛlɛ kɛ gĩa impose au couple endeuillé selon SOUMANOU KIBANE ,un sage de Sokotindji ,une abstinence sexuelle jusqu’à la réalisation du rituel. Celui-ci consiste à coucher le couple dos à dos sur le même lit, sous un pagne noir unique, avec les têtes orientées dans des directions opposées (Est-Ouest). Ce symbolisme spatial traduit la séparation temporaire entre les forces de vie et de mort. Le matin venu, le pagne est offert à une vieille femme, figure de sagesse et de passage, marquant la fin de l’interdit et la reprise des rapports conjugaux.
Analyse symbolique :
Ce rituel peut être analysé à la lumière des travaux classiques en anthropologie des rituels. Comme l’a montré Van Gennep (1909) dans sa théorie des rites de passage, le Wà suɛlɛ kɛ gĩa constitue un dispositif tripartite : séparation (abstinence et deuil), marge (nuit du rituel), et agrégation (reprise de la vie sexuelle normale). Turner (1967), en étudiant les rituels Ndembu, a souligné l’importance de la liminarité, ce moment où les individus sont à la fois exclus de leur statut antérieur et pas encore réintégrés dans le nouvel ordre : c’est exactement ce que vit le couple Boo pendant la nuit du rite.
De son côté, Balandier (1963) insiste sur le rôle des rituels comme instruments de gestion des tensions sociales et individuelles dans les situations critiques : le Wà suɛlɛ kɛ gĩa fonctionne ici comme un outil de régulation sociale face à la perte d’un enfant, événement hautement déstabilisateur. Enfin, Goody (1971), en analysant les liens entre mort, héritage et structure familiale, met en évidence l’importance des pratiques post-mortem dans la reproduction de l’ordre social : offrir le pagne à une aînée s’inscrit dans cette logique de transmission et de continuité.
Conclusion :
Le Wà suɛlɛ kɛ gĩa illustre l’articulation entre sexualité, spiritualité et reproduction sociale dans les communautés Boo. Loin d’être un simple rite magique, il constitue un mécanisme complexe de régulation sociale, de prévention symbolique des deuils futurs et de réaffirmation des valeurs communautaires autour de la fertilité et du respect des ancêtres. Cette lecture anthropologique, à la lumière des auteurs classiques comme Van Gennep, Turner, Balandier et Goody, permet de replacer ce rituel dans une perspective comparative et théorique plus large.
Références bibliographiques :
Van Gennep, A. (1909). Les rites de passage.
Turner, V. (1967). The Forest of Symbols: Aspects of Ndembu Ritual.
Balandier, G. (1963). La situation coloniale.
Goody, J. (1971). Death, Property and the Ancestors.