RIALE (NE-YAR), l’ancêtre bissa méconnu du royaume de Tenkodogo : pour une vérité historique réconciliée
Par : Sabi OROU ZAKARI
À partir des travaux et témoignages d’Issa Samadoulougou
Résumé
Longtemps réduite à la figure mythique de Ouedraogo, l’histoire du royaume de Tenkodogo mérite une relecture critique fondée sur les traditions orales, les faits linguistiques et les éléments de mémoire communautaire. Cet article replace la figure de RIALE, ou NE-YAR, chasseur bissa et père de Ouedraogo et de Zougdana, au cœur de la fondation du royaume. En montrant que la langue mooré elle-même est le produit d’un métissage bissa–dagomba–marpulga, et que les termes « Mossi » ou « Tenkodogo » ont des racines bissa, cette étude appelle à une reconnaissance pleine de l’apport bissa dans la formation de l’identité mossi. Elle s’appuie notamment sur les recherches d’Issa Samadoulougou et des témoignages de terrain.
1. RIALE (NE-YAR), un chasseur bissa, père des royaumes moaga
Selon la tradition orale recueillie en pays bissa, RIALE, que les Bissa appellent NE-YAR, était un chasseur d’éléphants, un statut hautement respecté dans les sociétés mandé. Il est reconnu comme le père biologique de Ouedraogo et de Zougdana, tous deux issus de son union avec Yenenga, une femme guerrière venue du royaume mamprusi (rattaché au Dagbon et au territoire de Gambaga).
Le nom « RIALE » serait une déformation phonétique de NE-YAR, terme bissa signifiant « garçon valeureux » ou « guerrier ». Cette transformation linguistique s’est opérée lors de son intégration dans le récit more. Son rôle fondateur est donc occulté dans les récits dominants, alors qu’il est à l’origine de la lignée royale moaga.
2. Tenkodogo s’appelait Takunni : un retour aux origines bissa
Le nom Tenkodogo, centre du royaume moaga, est d’origine bissa. Son nom ancien est Takunni, qui signifie en bissa « retournons à nos origines » ou « les enfants de Taku », Taku étant vraisemblablement une figure lignagère ou toponymique du groupe bissa.
Ce toponyme est révélateur : il témoigne d’un enracinement bissa profond, confirmant que les premiers établissements politiques mossi se sont faits sur des terres bissa et avec une base démographique issue du monde mandé.
3. Le mot « Mossi » vient du bissa : une acceptation fondatrice
Le terme « Mossi », souvent opposé à « moaga », proviendrait également de la langue bissa. Il signifierait « ils m’ont accepté », formule qu’aurait prononcée RIALE en terre de Gambaga, chez les parents de Yenenga, pour exprimer son intégration.
Cette anecdote, transmise par la mémoire bissa, réaffirme que le mot même désignant le peuple mossi est un legs du vocabulaire bissa, né dans un contexte de reconnaissance sociale et de métissage.
4. Une langue métisse : le mooré, synthèse bissa–dagomba–marpulga
Le mooré, langue des Mossi, n’existait pas en tant que tel avant la création du royaume de Tenkodogo. Il serait le fruit de la fusion linguistique entre :
le bissa (langue paternelle de RIALE),
le dagbani (langue de Yenenga, originaire du Dagbon mamprusi),
le marpulga, langue locale de Gambaga.
Le more est donc une langue créole de pouvoir, née du métissage et de la mobilité sociale. Aucune source linguistique sérieuse ne peut attester de son existence avant la dynastie moaga.
5. Les tombes de la mémoire : NE-YAR, Yenenga, Zougdana, Oubri
Contrairement à l’idée selon laquelle les fondateurs mossi auraient été enterrés à Ouagadougou ou en territoire moaga, les lieux de sépulture des ancêtres sont tous situés sur les terres bissa, ce qui confirme leur origine :
RIALE (NE-YAR) et Yenenga reposent à Zambadéga, qui signifie en bissa « viens voir pour croire ». Ce nom rappelle l’aspect physique inhabituel de Yenenga, perçue comme virile (barbe, prestance), suscitant la curiosité des villages voisins.
La tombe de Zougdana, frère cadet de Ouedraogo, se trouve à Komtadiga, déformé aujourd’hui en Komtoèga.
La tombe de Oubri est localisée à Dango.
Quant à Ouedraogo, il ne possède pas de tombe connue, en raison d’un événement tragique lié à son grand-père maternel. Mort très jeune, il n’eut pas le temps de poser les bases d’un royaume. C’est son frère Zougdana qui établit le premier royaume, mais l’hommage et l’identité royale furent attribués à Ouedraogo pour honorer sa mémoire.
6. Repenser les filiations : les Yaana, Zaossé et Dagara
Contrairement à certaines narrations qui intègrent les Yaana, les Zaossé ou les Dagara comme branches fondatrices des Mossi, les témoignages bissa affirment que :
Les Yaana et Dagara sont en réalité des Mamprusi,
Les Zaossé sont issus du métissage entre Gourmantché et Yaana,
Aucun de ces groupes ne relève du tronc mandé ou bissa et ne peut revendiquer l’identité originelle de RIALE.
7. Pour une mémoire réconciliée : proposition de monument
Issa Samadoulougou et les autorités coutumières bissa appellent à la construction d’un monument en hommage à RIALE (NE-YAR) à Tenkodogo. Ce monument le représenterait avec son javelot, symbole de chasse et de royauté dans la tradition bissa.
Ce geste serait un acte de justice mémorielle, unissant les peuples bissa et mossi dans la reconnaissance d’un héritage partagé. Il ne s'agit pas d'effacer les Mossi, mais de les enrichir de leur vraie origine, et de restaurer la dignité historique du peuple bissa.
Conclusion
Reconnaître la contribution fondatrice de RIALE (NE-YAR) et des Bissa à la naissance du royaume de Tenkodogo, c’est sortir de l’histoire officielle linéaire pour retrouver la complexité des métissages culturels qui ont fait l’Afrique de l’Ouest. C’est aussi restaurer la place d’un peuple longtemps marginalisé, et honorer les liens entre mémoire orale, toponymie, et réalité archéologique.
Que la vérité triomphe, et que la mémoire retrouve ses racines.
Références
Samadoulougou, Issa. Traditions bissa et origines du royaume moaga, manuscrit en cours, 2024.
Ki-Zerbo, Joseph. Histoire de l’Afrique noire, Hatier, 1972.
Sawadogo, Salifou. Les royaumes moaga : entre mémoire et histoire, PUF, 2011.