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Le Royaume de Sokotindji : ancienneté, organisation royale et légitimité dynastique du trône KIBANE.

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Titre : Le Royaume de Sokotindji : ancienneté, organisation royale et légitimité dynastique du trône KIBANE.
 

Résumé
Peu documenté dans les corpus académiques, le royaume de Sokotindji situé dans le nord-est du Bénin, révèle une royauté d’une remarquable profondeur historique. Fondé entre le VIIIe et le IXe siècle, il est antérieur aux  grandes formations politiques de la région comme le royaume de Nikki. Par une combinaison de traditions orales, d’enquêtes de terrain et de travaux archéologiques récents, cet article met en lumière la structure sociopolitique du royaume, la dynastie KIBANE, ainsi que les formes de légitimation du pouvoir royal, illustrées notamment par le trône en peau de lion.
 

1. Introduction
Les systèmes royaux africains précèdent souvent la période coloniale de plusieurs siècles, et parfois même les constructions étatiques modernes. Le royaume de Sokotindji, dans la commune actuelle de Ségbana, se distingue par sa longévité, son enracinement territorial et la symbolique de ses institutions. Son pouvoir royal, toujours vivant, incarne une tradition millénaire méconnue, que cet article cherche à documenter et valoriser.
 

2. Une royauté millénaire : origines et continuités
D’après l’archéologue Dr Oumarou BANI GUENE, la fondation du royaume de Sokotindji remonte à une période comprise entre le VIIIe et le IXe siècle, donc bien avant les royaumes mieux connus comme ceux de Nikki. Cette datation repose sur des traditions orales mais aussi sur des découvertes archéologiques : en 2025, un site de métallurgie ancienne a été découvert dans la région de Gbarana dans l’arrondissement de Sokotindji, témoignant d’une occupation humaine stable et d’activités techniques complexes.
L’anthropogéographie du royaume révèle cinq sites historiques successifs à savoir Lètè (première escale des fondateurs),Poéla,Sawatinzi (territoire des sangliers roux),Kidaou (la forêt des rois), et enfin Kèou, site actuel de la chefferie.Cette succession d’implantations montre une adaptation permanente aux enjeux politiques et environnementaux.
 

3. La dynastie KIBANE et son système d’alliance
Les souverains de Sokotindji appartiennent au clan Sannin, d’origine Iyo (Nigeria), selon le sage Boulai Guin de Bobèna. Le trône KIBANE se distingue par l’usage d’une peau de lion, symbole de royauté et de puissance.
Liste des rois KIBANE à ce jour (selon la tradition orale) :
1. KIBANE LÈLÈDÉ, il a régné à Lètè dans l'arrondissement de LOUGOU.

2. KIBANE ZINAN

3. KIBANE KISSIO-GUESSE

4. KIBANE MOHANZIDE

5. KIBANE OKPADE

6. KIBANE GBOMOMONKONNIN

7. KIBANE KIDOGO

8. KIBANE BANKOSSÈ

9. KIBANE WOLOU SANIN (ALIDJAASSÉDÉ), célèbre pour sa résistance aux travaux forcés et à la scolarisation coloniale.

10. KIBANE GANSIDODO

11. KIBANE BIO MARO (GBÈKELÈDÈ)

12. KIBANE SABI KISSIRA

13. KIBANE ANDEMY OROU — actuel roi en fonction.


4. Organisation de la cour royale
La gouvernance du royaume repose sur une cour bien structurée composée de notables détenant des fonctions précises, autant rituelles qu’administratives :
-KILAOU, Chef de terre
-GANSINDODO, membre de la lignée des KIBANE, occupe une fonction essentielle dans la transmission du pouvoir royal. Bras droit du monarque, il est chargé d'organiser et de conduire les rituels d'intronisation du nouveau souverain. Il joue également un rôle d’initiateur : c’est lui qui enseigne au nouveau roi les gestes symboliques du pouvoir, notamment la démarche royale et les danses rituelles.
-KIGADÉ, il est chargé du transport du trône en peau de lion d’un lieu à un autre
-YOA GUIN, Il peut être roi par la lignée maternelle
-SIAKI, chef des forgerons
-LAAKI, chef bouchers
-TOEK, chef des chasseurs
-GANOUKI, chef des Gando
-SAWATINZI KI, chef traditionnel de Sokotindji, seul à désigner le lieu d’inhumation du roi. Il existe une relation d’évitement entre ces deux monarques
-GUINDAN, notable
-BAZII, chef de guerre
-GUIN’KO, officier de l'intronisation du roi
-SE KONHOU, gardien du cheval royal
-GUIN KPAALÈ, représentant du chef peulh de Diapeou
-GUIN SAMAH, il est chargé de conduire la troupe pendant les guerres
-VOUANKI, chef de tous les Peulhs du territoire Kaawia résident à Diapéou
-MEEKONHIN, chef des possédés (liés aux esprits de guerre achetés par KIBANE lors des guerres)
-BALAKI, chef des griots
-GANHANKI, chef des tam-tammeurs
-GOEKI, chef des joueurs de guitare traditionnelle
-KABO’OU, notable chargé de collecter les impôts auprès des populations
Ce système démontre une répartition fonctionnelle du pouvoir, et un ancrage profond dans des pratiques spirituelles et sociales anciennes.
 

5. Autorité et souveraineté territoriale

Le roi KIBANE exerce son autorité sur un vaste territoire appelé Kaawia, couvrant plusieurs villages et entités coutumières. Des autorités traditionnelles Kiénin (Wassangari) notamment celle de Zougou Pantrossi (commune de Gogounou) reconnaissent son autorité. Dans la commune de Ségbana, seuls deux trônes sont en peau de lion : KIBANE et KITAOU. Toutefois, le royaume de KIBANE dispose d’un territoire et d’un réseau d’allégeance plus étendu. Selon la tradition, tout nouveau monarque de Ségbana doit, durant les sept premiers jours de son intronisation, adopter un statut symbolique de "femme" auprès des rois KIBANE. Cette période rituelle se manifeste notamment par le partage de la chambre avec le roi KIBANE, tandis que les épouses de ce dernier s’éloignent temporairement. Ce rituel marque une phase de soumission, d’apprentissage et d’intégration du nouveau souverain dans la sphère sacrée du pouvoir.
 

6. Légitimation rituelle et alliances matrimoniales
Le pouvoir royal est soutenu par des rituels codifiés comme le Massadaa ,le tir à l’arc,la culture rituelle de l’igname avec le rite Apàa et l’intronisation par Guin’Ko. À cela s’ajoute une stratégie matrimoniale traditionnelle : chaque nouveau roi KIBANE prenait une épouse dans la famille  de Guin Blaatin à Bobèna, village ancien CamScanner 11-06-2025 23.11_1
, renforçant son ancrage et sa légitimité.
 

7. Conclusion
Le royaume de Sokotindji n’est pas un reliquat folklorique, mais une royauté vivante, historiquement enracinée et institutionnellement structurée. Sa fondation vers le VIIIe siècle en fait un des royaumes les plus anciens du territoire béninois actuel. La reconnaissance de son système politique, de sa mémoire royale et de sa symbolique (trône en peau de lion, rituels initiatiques, notables spécialisés) s’avère nécessaire à la relecture des dynamiques historiques du nord du Bénin.
 

Bibliographie
BANI GUENE, Oumarou. Entre fer, pouvoir et territoire : archéologie d’un royaume oublié du Nord-Bénin, inédits, 2025.
IROKO, Félix. Les Tchenga et les premières occupations du Dahomey. Interview à Henri N'DAH SEKOU.
Témoignages oraux : Boulai Guin (Bobèna), Guin’Ko, Sawatinzi Ki.
Archives orales royales de Sokotindji, collectées entre 2022 et 2025.

OROU ZAKARI Sabi

Journaliste et passionné de l'histoire des chefferies traditionnelles

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