Titre: De la tragédie originelle à la réorganisation politique : Zambara, un foyer de mémoire et d’autorité traditionnelle Boo
Résumé
Cet article retrace l’histoire du village de Zambara, dans la commune de Kalalé au Bénin, en mettant en lumière un épisode marquant le déplacement de la population dû à une crise morale au sein du pouvoir royal. Il documente la reconstruction du village autour d’un nouveau pouvoir légitime, la structuration de son administration coutumière, et établit des parallèles avec d’autres chefferies africaines ayant connu des recompositions similaires.


1. Introduction
Les royaumes traditionnels Boo du nord-est du Bénin offrent un riche patrimoine de gouvernance coutumière. Parmi eux, le village de Zambara, aujourd’hui situé dans l’arrondissement de Kalalé dans la commune de Kalalé, présente une histoire singulière de rupture avec un ancien pouvoir jugé immoral et de reconstruction d’une légitimité politique sur une base éthique et communautaire. Ce cas illustre la manière dont les sociétés rurales africaines ont su se reconfigurer en période de crise, en s’appuyant sur la mémoire collective, les alliances, et la légitimation religieuse et sociale du pouvoir.
2. L’événement déclencheur : entre abus d’autorité et exil collectif
Selon les témoignages de Ba Sohou BIO BAWA, un sage local, le point de rupture est une tragédie morale. Un chef traditionnel de Zambara, dont la réputation serait jugée douteuse, tente d’imposer à une jeune fille de devenir l’épouse de son fils. Le refus de cette dernière, soutenue par sa famille, aurait provoqué une réaction violente : en l’absence des parents, le chef aurait empoisonné la jarre d’eau de leur concession. L’acte aurait entraîné la mort de quatre hommes et d’une femme enceinte. Ce drame, loin d’être isolé, s’inscrit dans une série de méfaits attribués à ce souverain selon Touli Amadou, un sage local.
La population, écœurée, saisit cette tragédie comme un prétexte pour quitter définitivement le site originel de Zambara. Cette décision collective illustre le rejet profond de l'autorité injuste et amorce un déplacement historique vers le village de Morou, conduit par un célèbre chasseur d’éléphant : Kigandé.
3. Morou : une terre d’accueil sous haute protection spirituelle
Morou, ancien village de la commune de Ségbana, est un haut lieu de spiritualité Boo. Il abrite deux fétiches majeurs : Ganli’Nkpè et Banhankila, incarnations spirituelles respectives de Kissira et de sa sœur. Ces fétiches jouent un rôle de protection pour les réfugiés de Zambara, Sebana et Gbin’nèzin qui convergent à Morou pour fuir les attaques meurtrières de l’époque. Cependant, la cohabitation avec les autochtones est marquée par le mépris et les humiliations. C’est dans ce contexte que Kigandé, figure de proue de l’exode, propose le retour vers la terre ancestrale. Ce retour sera fondateur.
4. Mort du roi et reconstruction du pouvoir
En cours de route, le chef qui serait fauteur de troubles meurt près d’un marigot Itin. À Morou, les migrants subissent le mépris des autochtones, ce qui pousse Kigandé à organiser le retour vers un nouveau site. C’est là qu’est fondé l’actuel Za’Nbaa, où une nouvelle dynastie commence avec l’appui du chef traditionnel de Tounmou, un village de la commune de Ségbana, qui délègue son fils Bio GAZI, dit Ki Tounmoudé, pour régner.
L’intronisation de Bio GAZI, alias Ki Tounmoudé, s’inscrit dans un cadre de reconnaissance politique : elle est validée par Sa Majesté KIBANE, roi de Sokotindji, autorité Boo de référence. Ce dernier confère à Kilo’Ngbèki, roi de Kidaroukperou dans la commune de Kalalé, le rôle d'introniser désormais tous les futurs chefs de Za’Nbaa. Cette prescription est toujours respectée, ancrant la légitimité royale dans un maillage régional d’autorité coutumière.
5. Liste dynastique des chefs traditionnels de Za’Nbaa (Zambara)
La lignée royale de Zambara témoigne d’une organisation patrilinéaire, parfois entrecoupée d’interrègnes dirigés par des femmes ou des figures transitoires. Les chefs se succèdent comme suit :
1. Bio GAZI (Ki Tounmoudé)
2. Kidoa, deuxième fils de Ki Tounmoudé.A la veille de la fête de la Gaani à Nikki, il perdit son cheval, ce qui menaçait de l’exposer à une grande humiliation, car se rendre à la cérémonie à pied aurait été perçu comme une honte. Kigandé, un chasseur de grande renommée, prit alors l’initiative de capturer une bubale pour lui servir de monture de remplacement. Grâce à cet acte courageux, le souverain put participer dignement à la fête. En souvenir de cet épisode où la bubale sauva l’honneur du roi, les chefs de Zambara se sont imposé, par respect et reconnaissance, l’interdiction de consommer la viande de cet animal.
3. Bègwa, sœur aînée de Kidoa, régente durant 7 ans.
4. Kibanzindé, petit-fils de Ki Tounmoudé.
5. Ki Fonzindé, venu de Tounmou,73 ans de règne
6. Ki Sao, fils de Kibanzindé.
7. Banni Samali, fils de Ki Sao.
8. Bio Tairou, fils du frère de Banni Samali, venu de Nèganzin.
9. Ki Sao Alassane Alidou, actuel roi depuis le 2 février 2023, petit-fils de Ki Sao.
6. Organisation de l’administration traditionnelle de Zambara
La royauté de Zambara repose sur une administration bien structurée avec des ministres, des chefs de corps de métier, des représentants de clans et des figures rituelles. En voici la liste complète :
Héritier et cadre familial
-Koloo Guin : Prince héritier (successeur désigné)
-Bègwa : Sœur du roi, cheffe des femmes
Personnalités fondatrices et alliées
-Kigandé : Ancien chef de file du déplacement, cofondateur du site
-Gbin’ninzinki : Chef de Gbin’nèzin, soumis à l’autorité du roi de Zambara
Chefs de corps spécialisés
-Kikwaasi : Administrateur coutumier en cas de vacance du trône
-Maeguina : Sacrificateur en charge des fétiches
-Toeki : Chef des chasseurs
-Laaki : Chef des bouchers
-Siaki : Chef des forgerons
-Noma : Chef des agriculteurs
-Samali : Chef des jeunes
-Saliki Haoussawa : Chef des étrangers
Adjoints royaux
-Saè Guin
-Saa Guin
-Zaazin Guin
Ce système, centré sur les savoir-faire et les lignages, garantit une gouvernance distribuée et une continuité rituelle. Le roi, tout en étant l’autorité suprême, s’appuie sur un ensemble d’acteurs sociaux.
7. Alliances coutumières et symboles de royauté
Les chefs traditionnels de Zambara et Sébana, tous deux issus du clan Tèè (ou Tèkè) des Tchenga, sont liés par une alliance coutumière scellée en présence de KIBANE : à la mort de l’un, l’autre fournit une houe sans manche pour la mise en terre du défunt chef. Ce geste hautement symbolique exprime l’unité spirituelle et clanique des deux communautés.
8-Les attributs du pouvoir à Zambara renforcent la dimension symbolique du trône :
Trône en peau de cob, antilope rapide et endurante
Chaussures royales en peau de buffle, symbole de force
Pot en argent pour le lavage rituel des mains
Rituel des boules de pâte lors des repas du monarque : trois boules offertes avant de manger la sienne.
Il faut noter que cette chefferie traditionnelle est sécurisée par des divinités notamment Swaagbèa et Zana.
9. Cas comparables ailleurs en Afrique
Ce type de reconstruction monarchique sur fond de crise morale et politique n’est pas unique à Zambara. On observe :
Chez les Mossi (Burkina Faso) : plusieurs royautés se sont recomposées après des conflits internes, notamment entre chefs de guerre et chefs religieux.
Dans le royaume Yoruba d’Oyo (Nigeria) : les Oyomesi, conseil des notables, avaient le pouvoir de destituer un roi devenu tyrannique.
Chez les Ashanti (Ghana) : les reines-mères peuvent refuser la reconduction d’un roi corrompu.
Ces cas montrent que le rejet d’un roi immoral et la reconstruction d’un nouveau pouvoir légitimé par le collectif est une réponse typiquement africaine aux abus de pouvoir, où la souveraineté est toujours enracinée dans la communauté.
Conclusion
L’histoire de Zambara témoigne de la capacité des sociétés africaines traditionnelles à sanctionner l’injustice royale et à reconstruire des systèmes légitimes et durables. Le cas de Za’Nbaa montre que la légitimité ne découle pas seulement du sang ou du clan, mais aussi du comportement moral, du soutien communautaire et des bénédictions religieuses. En conservant ses fétiches, ses rituels et son administration traditionnelle active, Zambara demeure un exemple vivant de résilience sociale et culturelle en Afrique de l’Ouest.
Références orales
Ba Sohou BIO BAWA, dignitaire royal de Zambara, entretien en juin 2025
Touli Amadou, sage de Za’Nbaa, entretien en juin 2025