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Le rituel de l’igname Geena ou Kpãana en pays Boo : entre bénédictions, mémoire des ancêtres et ouverture de la consommation

Titre : Le rituel de l’igname Geena ou Kpãana en pays BooScreenshot_20250830-222011
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 : entre bénédictions, mémoire des ancêtres et ouverture de la consommation.


Auteur : Salé KILAOU, passionné du patrimoine culturel des peuples africains
Contacts : 0196622668/195901544
E-Mail : saliffrancoiskilaou@gmail.com


Article sponsorisé par  l’association Dynamique pour l’Émancipation et le Développement Économique et Social « DEDES SOKO  DEBOUT » à l’occasion du rituel Apaa à Sokotindji, le samedi 30 août 2025. 


Chez les Boo, l’igname ne se réduit pas à un simple aliment : elle est une substance de vie, un pont entre les hommes, la terre et les ancêtres. Parmi les différentes variétés cultivées, l’igname Geena occupe une place particulière. Elle est consacrée dans le cadre du rituel Apaa, cérémonie qui marque l’ouverture de la consommation de l’igname pilée sur le territoire Kaawia de KIBANE.


Une culture entourée de mystère
Chez les Boo, l’igname n’est pas une simple culture vivrière : elle est entourée de mystère et de symbolisme. Son cycle de production dure neuf mois, à l’image de la grossesse d’une femme, ce qui explique que son apogée de consommation soit marqué par une cérémonie rituelle appelée Apaa. Les buttes sur lesquelles poussent les plants d’igname sont perçues comme une représentation de la grossesse.
Ainsi, l’igname n’est pas seulement une nourriture, mais un élément sacré qui relie la nature à la vie humaine. Ce caractère sacré se traduit notamment par le rituel du dépôt de morceaux d’igname Geena sur les tombes, à l’entrée des portes, dans les marigots, fétiches et sur les voies, observé par tous les chefs de ménage. Le lendemain, ces morceaux sont ramassés par les enfants qui, à leur tour, en font une petite fête en préparant des mets de leur choix, tels que le ragoût.Il faut dire que dans la zone de Kalalé, les enfants ramassent ces morceaux d'igname dans la même soirée et ils préparent le lendemain l'igname pilée.Ensuite,les enfants se rassemblent en chantant :
Daaũdaaũna, wa si kɔ̃ wa, Daaũdaaũna, wa si kɔ̃ wa. Ófii, wà do'oo la, Ófii, wà do'oo la. 
Lɛ̀pì sia guu,  ɔ̃ aaiɔ ùlá zuzu musu , wàɔ si kɔ̃ wa. 
« On apporte chacun un peu, que chacun s’arrache ; l’igname sans sauce, allons la demander à la casserole ! »
En rythme avec le chant, ils lancent leurs chemises en l’air, les rattrapent et recommencent, encore et encore, dans la joie du jeu.
Les gestes du rituel
L’igname Geena ou Kpãana est sectionnée de manière oblique. Selon le lieu du rituel, son dépôt obéit à une géographie précise :
-Aux portes des chambres, voies d’accès des champs et villages : deux morceaux, déposés à gauche et à droite.
-Aux tombes : deux morceaux, au nord et au sud notamment au niveau de la tête et le pieds du corps.
-Auprès des divinités, rivières ou marigots : un seul morceau.
Au palais royal de KIBANE, une quantité d’ignames Geena ou Kpãana est envoyée chez le Kilaou (ou Kidaou), dépositaire de la coupe rituelle. Après la coupe, les morceaux d’igname sont retournés à la cour royale. Par contre, dans les ménages ordinaires, la coupe des ignames est faite par les chefs de ménages.
Par ailleurs, l’igname Geena ou Kpãana est plantée sur les trois buttes symboliques qui avaient servi au cérémoniel du lancement du buttage d’un champ d’igname. Les autres variétés comme Woosu,Tèekpa et bien d’autres, réputées plus savoureuses et propices au pilage, sont bouillies et pilées.
Un mets particulier est réservé aux statuettes de jumeaux : igname bouillie assaisonnée de beurre de karité et sel. Cette offrande souligne le lien profond entre l’arbre de karité et la tradition Boo, puisque c’est son ombre, et non celle du néré, que les cultivateurs choisissent comme lieu de repos.


Le cérémoniel du lancement du buttage
Avant toute consommation, un autre rituel, lié à la fertilité des terres, consacre le lancement du buttage des champs. Les instruments mobilisés sont :
-un coq sacrifié mais dans certaines zones ,on sacrifié un canard et un bouc,
-un bois de Bɛlɛ̀ aiguisé, planté entre les deux premières buttes,
-une pierre rouge, jadis utilisée comme foyer,
-un épi de sorgho à maturité non sec, pilé et déposé sur la pierre rouge.
Le bois de Bɛlɛ̀ est choisi car il symbolise la bénédiction et la fertilité : toujours présent sur des terres riches, il fournit aussi le manche des houes agricoles.


Les paroles libatoires
C’est à ce moment que le sacrificateur prononce les libations, paroles de médiation entre les vivants, les ancêtres et Dieu :
« Que Dieu nous épargne de toute maladie, que cette nouvelle année qui commence soit une source de bénédiction pour tout le monde et qu'on ait un bon rendement. Que chacun mange sans que ce ne soit une source de maladie. Que Dieu nous éloigne de tout esprit maléfique. Nos ancêtres ont mangé grâce à la terre, personne n'a mangé grâce au ciel, nous lui demandons aussi de nous donner la richesse. Là où nous avons bien fait, qu’elle bénisse. Ce qu’on devrait faire et qu’on n’a pas pu, nous sommes des enfants, nous savons courir mais nous ne savons pas où nous cacher, pardonne-nous, c’est vous qui savez ce qu’on doit faire. Tout ce que nous avons fait, nous ne voulons pas la souffrance mais l’abondance. Si quelqu’un vient ici avec un esprit maléfique, qu’il parte avec son esprit. Celui qui vient ici avec une richesse, nous allons tous ensemble manger avec lui. »
De même, le jour du rituel Apaa dans le territoire de KIBANE, les morceaux d’igname déposés aux différents seuils (portes, tombes, divinités, rivières, champs et villages) s’accompagnent d’une invocation spécifique :
« Vous qui nous avez protégés jusqu'à voir ce jour et ce que vous nous avez donné, voici. Merci beaucoup. Bénissez-nous ce que vous nous avez donné à manger, c’est cela que nous voulons manger aujourd’hui. »

Le parallèle avec d’autres peuples
Chez les Baatombu, proches voisins des Boo, la fête de l’igname connaît un rituel similaire. La seule différence, selon Bah Chabi Mamatou, détentrice de statuettes de jumeaux à Alafiarou (commune de N’Dali), est l’usage de l’huile rouge pour nourrir les statuettes, là où les Boo emploient le beurre de karité.
La fête de l’igname de Savalou illustre également cette dimension religieuse et sociale : entourés d’un arsenal sacrificiel (calebasses, canaris, poules, ignames, couteau, alcool local), les prêtres boconon procèdent à des incantations et tranchent des ignames dont la disposition révèle, à travers le Fâ, le signe de l’année. La dégustation royale des premiers morceaux marque l’ouverture officielle de la consommation, assortie d’une bénédiction collective.

Conclusion
À travers le rituel Apaa, l’igname Geena se présente comme une médiatrice cosmique : elle relie les hommes aux ancêtres, fonde la prospérité agricole et scelle la cohésion sociale. Les libations prononcées rappellent que la terre, don des ancêtres et de Dieu, reste la source première de la vie et de la richesse.

Salé KILAOU

Passionné de la mémoire collective des peuples de l'Afrique.

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